Pour son unique date en Suisse, la Cie Lapsus de Lyon vient de présenter «Boutelis» sur le plateau de Nebia. Circassiens aguerris, ses membres déambulent dans un univers flirtant avec l’inconscient, excroissance d’une simple chambre à coucher, avec sa porte, sa coiffeuse, son placard et son lit.
Y repose une femme en robe bleue. Bientôt ses songes prennent forme et mouvement. Libérées de l’étreinte consciente qui réduit tout à la morne impression de réalité concrète, d’étranges apparitions jouent les filles de l’air. Les images se succèdent, avec leur lot d’acrobaties aériennes, de mar- ches au-dessus du vide et d’équilibres à rallonge. Rebonds inouïs sur la surface de ce miroir aux aléas. Les arts du cirque infusent la pièce, dans une dimension jamais vue auparavant, tant le langage inclusif de Lapsus est neuf. Ici, les numéros classiques de jonglage aux massues, de monocycle ou de cerf-volant s’immergent dans l’espace-temps dilaté d’une poétique ascensionnelle. Magnifique, la musique de «Boutelis» accompagne ce détour vers l’extraordinaire. Oscillant entre crête de vague et condensation abyssale, elle ponctue chaque tableau en filigrane. La lumière également participe de cette odyssée dans le vif des rêves, jouant à fond des connivences pour régulièrement en surprendre le cours par d’inattendus renversements de perspectives. Inspiré par des références multiples extraites des beaux-arts et du cinéma, l’ensemble des créateurs, techniciens compris, partagent leur clé des songes avec un public charmé. Dès lors, chacun prend part à ce bal des figures mythologiques, que ce soit à travers les archétypes kaléidoscopiques de Sysiphe, Narcisse ou Pégase, ou par le biais de son propre bagage onirique, lequel prend toute la place dès que tombent les barrières de l’attention et des croyances. Alice est là.
Antoine Le Roy
Auditorium Michel-Petruccinani / Envolées d'imaginaire
Public renouvelé et de tous âges mêlés, mardi 15 janvier, pour « Boutelis », cirque sans sommeil éveillé par la compagnie Lapsus. Dans une ambiance intrigante extrêmement soignée, sept circassiens créent un univers étrange et fertile, entre réel et fantastique. Sans paroles mais sur une mise en sons originale et éloquente, elle et ils, en solo ou ensemble, découpent l’air de numéros réinventés.
En équilibre, portés acrobatiques, jeu de jongle ou valse légère de cerf volant, les artistes jouent avec aisance sur la frontière entre le réussi et le presque raté. Et donnent à voir un spectacle fougueux et rêveur qui combine virtuosité, poésie tendre, ironie hirsute et frissons d’émotions.
Mêlant les arts du cirque et de la danse, le spectacle visuel "Boutelis" de la Cie Lapsus sera présenté en exclusivité suisse le samedi 19 janvier (20h) au théâtre Nebia à Bienne.
Dans une esthétique bien léchée et intrigante, la compagnie Lapsus présente sa nouvelle création teintée d'un onirisme captivant. Les sept circassiens investissent un espace intemporel où la légèreté du vol d'un cerf-volant peut être interrompue par le combat de trois titans ou l'apparition d'un homme animal. Vous découvrirez un univers dominé par l'étrangeté qui donne à voir un réel distordu et fragile. A l'origine du spectacle "Boutelis", il y avait l'air. L'air comme désir commun de recherche; l'air comme impalpable à révéler. Et puis, à mesure que le processus de création imposait ses évidences, la Cie Lapsus a pris le parti de l'inscrire comme un présence en filigrane, parfois donnée à voir de manière explicite, parfois traitée de manière plus métaphorique. Le cerf-volant plonge le plateau dans un onirisme envoûtant et reste un "marqueur" de cette création, ce qui permet la rencontre d'un univers étrange et d'une technique de cirque singulière. En tant que voltigeuse, la femme à la robe bleue aspire à tutoyer les cieux, elle rêve à l'éternité du mouvement, elle conoite une illusoire suspension, ell prétend, pour le dire comme Bachelard, à une superposition du "mouvement réel" et du "mouvement fantasmé". D'autre part, cette femme, aux prises avec son inconscient, rencontre en son for intérieur les facettes d'elle-même contre lesquelles elle lutte. Sans cesse confrontée à ce moi viscéral, elle tente de s'évader, d'aller voir ailleurs, de franchir cette fameuse porte, comme on voudrait pouvoir se débattre lors d'un boutelis. Ces navettes entre l'intime et le visible, entre ce qui grouille en elle et ce qui l'en libère, s'inscrivent à leur tour dans ce que nous appellerons la poétique ascensionnelle.
« Le cirque sans sommeil »,
A nul autre pareil,
Se hérisse de touffes
De cheveux qui étouffent
La perception des choses, Entraînant des névroses.
Éveil d’une belle au lit dormant sur le fer
D’un conte musclé sorti tout droit de l’enfer
Où les portés enflammés sautent bien en l’air.
Sur leur monocycle, les couples ont fière allure
En décrivant de voluptueuses figures.
Le cercle des possibles suit la trajectoire
D’un cerf-volant qui s’anime de faux espoirs.
Un bestiaire grouillant de bonnes intentions
Se découvre de multiples dons d’invention.
Décadence et jongle dans un jeu de miroir
Pour séduire une princesse en plein désespoir.
C’est un amour qui se lance à coups de massues ;
L’histoire s’élance avec des corps sans issue,
Elle commence dans un décor bien conçu,
S’achève sur de singuliers monstres en surplus.
Miroir, miroir, dis-leur que leur beauté, à plus
D’un titre, s’est soudain découverte et leur plut.
Peau d’Âne et autres légendes ont bien survécu ...
Mi-hommes, mi-animaux, mi-femmes, mi-bêtes ;
C’est une sorcellerie où ils font la fête.
Au manoir hanté, le sacrifice s’apprête ;
C’est elle qui détient la clef de la conquête.
Béatrice Chaland [article original]
Après Six Pieds Sur Terre la Compagnie Lapsus nous entraîne avec Boutelis dans un univers onirique, où une jeune femme affronte ses peurs d'enfant. Un cirque acrobatique et une plongée dans l'imaginaire poétique.
ÉTRANGE IMAGINAIRE
Dans cette chambre de jeune fille le lit et la coiffeuse sont entourés de deux portes, celle de la chambre et celle de l'armoire. Deux ouvertures sur le monde, sur l'imaginaire, deux portes qui ne sont pas toujours ce que l’on attend d'elles. Incapable de sortir de ce lieu la jeune fille s'endort. Nous entrons alors dans un univers entre "Monstres & Cie" et "Alice au Pays des Merveilles" : un monde imaginaire, sombre, entre rêves et cauchemars.
Dans ce cadre onirique à l'esthétique léchée vont se côtoyer des créatures étranges : chiens ou singes à la chevelure aveuglante et camouflante, Tarzan sur talons aiguilles, employés en costume gris. La robe bleue de la jeune fille est la seule tache de couleur. C'est avec le soutien de ses amis imaginaires, de ses doubles, que la jeune fille va affronter ses peurs enfantines et ses monstres intérieurs pour mieux s'en libérer.
CIRQUE ACROBATIQUE ET AÉRIEN
Les 7 artistes de la Compagnie Lapsus enchaînent les acrobaties, exercices de portée et de main à main et les numéros de circassiens. Cet univers onirique offre de beaux moments de poésie, tels ce duo-combat entre un homme et un cerf-volant ou celui des monocycles. L'étrange côtoie le réel, le temps semble distendu. Les ombres du subconscient comme autant de facettes de la personnalité, manipulent l'homme statufié, jonglent avec les sensations.
La musique originale de Marek HUNHAP et les créations lumière de Matthieu SAMPIC participent à la composition de cette ambiance onirique étrange, irréelle et poétique.
En bref : pour sa seconde création la Compagnie Lapsus nous entraîne dans le subconscient et l'imaginaire de l'enfance. Une plongée onirique dans un univers étrange. Laissez-vous envoûter
Christine Eouzan [site internet]
Lapsus se prépare un bel avenir collectif, et ce depuis longtemps. L’avenir se construit au quotidien, ils le savent bien : ces jeunes gens ont les pieds sur terre, pas banal pour des acrobates, voltigeurs, rêveurs et autres artistes mouvementés. Cinq ans après leur première création (ici) qui a été jouée quelque cent-quarante fois, la compagnie s’est attaquée (depuis avril 2015) à la gestation de son nouveau bébé, Boutelis, proposé en avant-première à la Grainerie.
Voilà ! Ouf ! C’est sorti ! Il était temps !
Ça trépignait sec à l’idée d’exposer les derniers travaux aux regards attentifs du public. De fait, le titre du spectacle désignerait, dans la langue arabe, une sensation d’immobilisation, d'étranglement, de paralysie. Le Boutelis (parfois transcrit Boutlelis) est un djinn, un démon qui vient vous déranger durant votre sommeil – une des images du spectacle n’est d'ailleurs pas sans rappeler « Le Cauchemar » de Füssli.
La création expose les méandres psychologiques d’une jeune fille (interprétée par la voltigeuse Gwenaëlle Traonouez) en prise avec son imaginaire, hantée par les esprits (maléfiques ?) qui l’habitent. Ces boutelis sont personnifiés sur le plateau par six interprètes. Ils la malmènent et la manipulent. A d’autres moments, elle jouent avec eux. Nous voilà entrés dans une chambre dont il est difficile de sortir, chambre qui représente l’espace mental de la protagoniste. La porte de sortie devenant une porte d’entrée sur d’autres problématiques psychiques, sortir revient à rentrer dans un nouveau champ du rêve. Le spectacle met la lumière – et de belle manière – sur les parties immergées du cerveau d’une jeune fille. La place est faite au monde de l’inconscient, à tous les processus et activités psychiques qui ne peuvent être contrôlés. Si l'inconscient s’exprime dans les rêves, il s’exprime encore davantage dans les pulsions, les fantasmes, et reste un formidable moteur d'énergie créatrice.
Sauts. Jetés. Chutes controlées. Portés. Envolées. L’imaginaire de cette jeune personne en robe bleue nous est dévoilé. Naturellement, tout n’y est pas rose mais véridique, authentique. Ces démons attestent de la complexité de la réalité mentale, et en même temps de sa fécondité. La pièce véhicule des concepts et des notions en laissant libre la réflexion des spectateurs : personnalité, identité, individuation, construction mentale, psyché, personnages mythologique, etc. Tout est dit par le corps et ses mouvements. La compagnie articule une dramaturgie bien pensée, soutenant le spectacle d’une atmosphère surnaturelle, onirique voire angoissante par moments. Ce qui ne manque pas d’accorder de la puissance et de la force aux propos défendus par la mise en scène. Rien de lourd ni de pesant, néanmoins, dans ce spectacle : le gros du travail s’est fait autour d’une matière spécifique, l’air.
L’air !
A n’en pas douter, cet élément est inspirant pour des circassiens et des manipulateurs de cerfs-volants... Pas de fil (narratif) dans Boutelis mais un ensemble cohérent qui ne vous lâche pas. Johan Lescop dit construire ses spectacles comme un puzzle. Il nous surprend et questionne, proposant une reflexion poétique voire spirituelle. Il pousse le spectateur dans ses retranchements, ses propres questionnements intimes et ses mécanismes internes.
La compagnie Lapsus signe là une œuvre aux allures d’intrusion psychique. La première qualité de ces artistes, depuis leurs débuts en 2010, est de fonctionner en équipe créative et inspirée, qui leur permet aujourd’hui d’afficher un univers singulier et fertile. Que ce soit les artistes-athlètes sur scène, le créateur Lumière, la costumière, le compositeur ou le metteur en scène : chacun sait tirer profit de lui-même, de ses compétences techniques et du collectif. L’assemblage final de tous ces talents est pour le moins réussi.
Ludovic Camdessus [article original]
Parfois, dans une douce lumière, autour de fragiles coquilles d'oeufs semblables à des feuilles mortes, la troupe faisait naître un beau sentiment de mélancolie nous ramenant à nos souvenirs d'enfants, à ces jours où nos jeux simples (mais bien moins virtuoses) nous emplissaient de bonheur...
Le garçon casqué jouait à la guerre, un hélicoptère miniature volait au- dessus d'un coffre où brillait un soi-disant trésor. Il y avait du Picsou et du Tarantino dans ces moments uniques. Un monocycliste roulait sur un tapis de coquilles d'oeufs. La brisure de celles-ci produisait une petite musique d'une indicible douceur. Nous naviguions tous entre étonnement, émotion, rire, sourire. Bref, on était tout simplement heureux !
Elane Faucon Dumont
Ce spectacle finement mis en scène n'est pas exempt d'humour. Comme en fait foi le duo de main à main de deux interprètes représentant des statues, qui font leurs numéros sur un petit socle de briques tiré par le reste du groupe...
Pas des scènes qui font hurler de rire, mais des clins d'oeil astucieux qui sont le fruit d'une longue recherche. Enfin, tout le segment avec les coquilles d'oeufs dispersées sur la scène est brillamment construit. Avec cet unicycliste qui roule d'abord à travers les coquilles sans jamais les briser. Puis, au contraire, en roulant dessus afin de les écraser. Le spectacle se terminera en apothéose dans une tempête de poudre de coquilles d'oeufs. Comme quoi on est né poussière et l'on retournera poussière. Mais entre les deux, heureusement, il y a l'amitié et la solidarité. Parfois.
Jean Siag
Un spectacle ludique et joyeux. Une eclosion jubilatoire d’objets et d’acrobaties.
Un séduisant travail chorégraphique où les corps, savamment éclairés, prennent le temps d’installer la poésie… jusqu’au surréalisme final jubilatoire. Un collectif prometteur !
Delphine Michelangeli
Gros gosses aux pieds agiles
Retour aux sources pour la compagnie Lapsus. Certains de ses membres ont fait leurs gammes enfants à Ménival, école de cirque du 5ème arrondissement de Lyon aujourd’hui labélisée Scène découverte par la Ville, la Région et la DRAC. Depuis ils ont tous fait du chemin et sont notamment passés pour la plupart par le Lido, école circassienne de Toulouse où ils ont décidé de se réunir pour créer Six pieds sur terre...
Des pieds, il y en a en fait une douzaine au plateau. Ceux d’un monocycliste, d'un jongleur, de deux porteurs, d'un acrobate et d'une voltigeuse, Gwenaëlle Traonouez, seule fille parmi cette bande de garçons joueurs.
Autant d'interprètes dont les techniques, savamment maîtrisées, n’occultent jamais la créativité et la douceur d'un spectacle qui pourtant requiert une sacrée force physique. Preuve en est par exemple cette mégalopole qu'ils dessinent en un clin d'oeil avec des briques de bois. Les buildings, les ponts se dressent sous nos yeux... avant de s’écrouler dans le bruit inquiétant des hélicoptères et d'une guerre qui menace, la troupe n'étant pas perchée dans un univers totalement déconnecté du réel.
C'est cependant bien parce qu’elle le prend en compte qu’elle peut aussi se permettre de s’en éloigner à l'occasion, avec des numéros fragiles et captivants nappés d'une musique planante signée Marek Hunhap. Chez elle, un coffre aux trésors renferme des centaines de coquilles d’œuf, précieux butin qui une fois dispersé au sol pousse le monocycliste à déployer une concentration maximale pour ne pas le faire craquer. Funambule au sol, il finit pourtant par casser son jouet et broyer le tout dans un somptueux moment où tout finit en poussière et en paillettes mélangées.
Nadja Pobel [Article Original]
Ils s'appellent Lapsus, et ça leur va bien. Les membres de la jeune troupe toulousaine ont choisi un nom de compagnie qui ressemble à leur dernière création, Six pieds sur terre. Ils disent faire du cirque mais c'est un peu plus que du cirque...
Aux arts maîtrisés du jonglage, du monocyle, de l'équilibrisme, ils ajoutent la candeur des premiers jeux d'enfants en inventant un monde de briques qui, en quelques instants, figurent Manhattan sous nos yeux. Des ponts, des tours, des buildings jaillissent de scène en un clin d'oeil et disparaissent presque aussitôt dans le bruit assourdissant des pales d'hélicoptères.
La troupe (dont la plupart des membres a découvert le cirque en culotte courte à l'école de Ménival) trouve le bon dosage entre l'exercice technique et la poésie. Comme lors de cet impressionnant solo où le circassien slalome entre des coquilles d'oeufs éparpillés au sol"
Nadja Pobel
Il y a des spectacles qui nous inspirent parce que les créateurs transportent le spectateur là où ils veulent. La guerre est un sujet traité à outrance dans le cinéma, le théâtre et la littérature, et il semble difficile d’inventer un regard nouveau sur une telle thématique. La compagnie française Lapsus, dans un grand effort de compénétration et d’originalité, réussit pourtant à nous offrir une nouvelle lecture de la guerre...
Le cirque, plus proche du divertissement, semblait jusqu’il y a peu de temps étranger à ces thèmes universels. Aujourd’hui, grâce aux nouvelles générations, on commence à traiter ces thèmes. C’est une bonne manière d’égaler les autres arts. Au mois de mai, dans le cadre du projet TRANS-Mission à Barcelona, on a pu voir un excellent spectacle sur la guerre coproduit par la Central du Cirque et l’Ateneu Popular de 9 Barris, qui malheureusement n’a pas eu l’écho qu’il aurait mérité d’avoir en raison de sa grande qualité. Peu de gens garnissaient les gradins de l’Ateneu Popular de 9 Barris.
Sous la direction de Johan Lescop, la troupe se compose de Jonathan Gagneux (monocycle, acrobatie et équilibre), Stéphane Fillion, (jonglage), Gwenaëlle Traonouez (acrobatie), Vincent Bonnefoi , Guilhem Benoi (acrobate) et Julien Amiot (porteur).
Dans une scénographie minimale, au milieu d’un paysage en ruine, le spectacle plonge le spectateur dans une ambiance guerrière, avec certains moments impressionnants comme l’apparition d’un hélicoptère télécommandé. Un bonheur de spectacle.
"traduit du catalan par Pierre DUCROZET".
"La jeune compagnie Lapsus signe une pièce qui dévoile un monde et un imaginaire galopants.
Cette compagnie formée en 2010 a tout de l'esprit de troupe : ils ont tous essuyés les bancs de l'école de cirque de Lyon, avant de connaître d'autres expériences et de se frotter à d'autres savoirs...
Lapsus marque leurs retrouvailles et leur spectacle ne démontre pas autre chose qu'un groupe bien soudé à la recherche d'un univers à eux. Ils débarquent dans Six pieds sur terre comme dans un monde où tout reste à inventer, on plutôt à reconstruire. Dans les débris d'une catastrophe, cette nuée de jeunes gens va s'employer à modeler les nouveaux paysages d'un espace qui deviendra un véritable terrain de jeu et de taquinerie. Leurs instruments ? Des briques et des coquilles d'œufs. Leur arme : la démesure, la masse. Le nombre d'objet délimite les contours d'une scénographie en constant mouvement, et propice à toutes les acrobaties. Avec, en filigrane, le plaisir d'être ensemble, malgré un monde en lambeaux."
N. Yokel [Article Original]
Lapsus, c’est l’histoire de copains qui se sont rencontrés il y a plus de 10 ans dans un atelier amateur à l’école de cirque de Lyon. Passionnés, ils décident tous de se professionnaliser. Certains poursuivent leur formation à l’école de cirque de Lomme, d’autres au Lido, à Toulouse. Après avoir tourné dans différentes compagnies (collectif AOC, Tango-Sumo, Les Têtes en l’air…), ils réalisent leur rêve de jeunesse et se retrouvent en 2010 pour fonder la Cie Lapsus...
La place du collectif est ainsi essentielle dans leur démarche. Il s’agissait au départ du projet de chercher ensemble, avant de chercher au sujet de. Les connivences artistiques reposaient d’une part sur des envies de jeux, au sens large du terme, et d’autre part sur la volonté de défendre ce que le cirque conserve de technique, convaincus qu’elle est à la fois une fin en soi et un outil au service de l’écriture. Ils défendent l’idée d’un cirque qui serait le théâtre de la virtuosité.
Rapidement, la compagnie est lauréate du projet Trans-mission, dispositif européen d’aide à la création. Le spectacle « Six pieds sur Terre » se construit grâce à des résidences effectuées en Espagne, en Belgique, en France et en Italie avec le soutien de La Central del circ, de l’Espace Catastrophe, de la Grainerie, de Zelig et du festival Mirabilia.
Au fil du processus de création, l’équipe choisit de s’entourer d’une scénographie singulière : 300 briques en bois et des milliers de coquilles d’œuf. A la fois symboles de la force et de la fragilité, ces objets du quotidiens sont des éléments de jeu et de décors.
« Six pieds sur Terre » est un spectacle subtile et simple, un désordre ludique et joyeux où dérision et prouesse se mêlent astucieusement. Les artistes inventent sans cesse de nouveaux espaces, de nouveaux terrains de jeu. Solidaires et espiègles, on les découvre avec l’obsession de construire et le plaisir de déconstruire.
Six paires de pieds complices qui, avec finesse et dérision, ré-enchante un monde qui n’est finalement que le leur.
Juggling Magazine
La guerre des coquilles
On y voit décidément de beaux semis, dans ces Premiers tours de piste organisés par la Grainerie. Si le spectacle Six pieds sur terre en est à ses débuts, en revanche certains des circassiens qui y sévissent ont déjà foulé la piste (plutôt celle de Lyon d'ailleurs), d'où peut-être cette solidité surprenante pour un soir de première – le rythme, l'esthétique et l'esprit de la chose étaient bien là, les six paires de guiboles d'emblée en place pour cette frénésie encasquée qui rappelle aussi bien la Guerre des boutons que les enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet...
Qui vint en premier : l'œuf, ou la guerre?
On ne peut que penser à l'imaginaire d'Yves Robert en voyant cette joyeuse troupe galoper parmi des jets de matière douteuse, sous les ordres d'un commandant non moins douteux. Seulement voilà, dans ce petit monde de briques et de coquilles, la guerre est déjà passée : restent les débris d'un vieux monde (le nôtre). Des miettes, des trucs, des bidules - à rassembler, à empiler, à traîner, à pousser, à bordeliser selon qu'on est d'humeur constructive ou pas. Le trésor de ces enfants perdus ? L'œuf. Faut croire que sous les bombes les poules pondent, et bien qu'il n'y ait plus grand-chose à manger, il reste des milliers de coquilles.
Attention à vos petons
D'un rien on peut faire un fil rouge, de ces fils dont le cirque a aujourd'hui besoin pour fédérer les instants de pure performance. Ce sera donc les coquilles et l'ambiance post-guerre, le tout fortement teinté par une délicieuse autodérision et des clins d'œil au public. Tout commence ainsi par le grignotis solennel d'un œuf dur épargné par la catastrophe ; tout s'achève avec un monde en poudre, par des lancés cathartiques de poussières de coquilles - un très beau désordre d'atomes scintillants, dans lequel les enfants perdus évoluent une dernière fois.
Entre temps, les circassiens auront organisé les débris du monde pour les transformer en agrès ou objets à manier selon leurs talents respectifs. Les briques se lancent et se jonglent, deviennent tours de Pise pour les équilibres et portés, obstacles pour les acrobaties ; les coquilles jonchent le sol, rendent périlleuse l'évolution du monocycliste, volatile celle du danseur. La matière se construit et se déconstruit, disparaît et réapparaît, selon une redéfinition du plateau qui fait toute l'astuce de cette création. Ce à quoi on ajoutera le choix d'une musique très présente, qui donne de l'allant aux artistes, soutient l'énergie de l'ensemble – non pas que le spectacle en ait besoin, mais il gagne en ambiance, et en cette première sortie de l'œuf la salle comble le lui rendit bien.
Eclosion réussie.
Manon Ona [Article Original]